Ludovic Paquelier : texte de Pascal Thevenet

À l’invitation d’art3, Ludovic Paquelier présente le projet, Traumaville, réalisé spécialement pour l’exposition. Il est composé d’une maquette de ville de grande dimension et de dessins muraux. La maquette qui se déploie dans l’espace est faite de matériaux et d’objets de récupération. Conçue comme un décor, en changement constant, elle génère les dessins réalisés directement sur les murs. L’ensemble rend compte de l’univers de l’artiste tourné vers la culture urbaine, fait de références aussi diverses que la musique rock et son esthétique, la littérature, le cinéma de science-fiction et la BD. Pour la première fois, les deux pratiques (dessin et sculpture) se confrontent et s’enrichissent afin de produire une narration ouverte.
Ludovic Paquelier développe un travail entre la peinture et le dessin, sur toile ou directement contre le mur. Il peint son univers proche (Douche, 1997 ; Téléphone maison, 2000 ; Moteur, 2001 ; Jour d’éclipse, 2002) ou sélectionne des photographies dans les magazines dont certains détails sont extraits puis recomposés, associés à l’imaginaire de l’artiste. « Dès lors l’image qui en résulte n’est pas une traduction picturale de la photo, elle est une peinture graphique (le noir) qui s’affirme comme tel ». L.Paquelier »
art3, dans sa fonction de laboratoire, propose l’expérience visuelle de l’auscultation. Le sujet en est une modélisation d’un espace urbain. Quelques débris mais pas de lésions apparentes. Nulles traces de coups mais des plaies. Un symptôme : un monochrome qui recouvre la totalité de Traumaville.
Traumaville semble l’image d’un passé. Pourtant, aucune trace d’érosion, aucune poussière. Comme si la peinture avait tout plaqué, comme si la couleur reconstruisait les contours ébréchés. Il s’agit d’une mise à plat de la ruine. Ruine non pas d’un lieu, non pas d’une zone, mais d’une société. L’industrie a modifié le paysage naturel. Mais l’organique ne peut, chez Ludovic Paquelier, reprendre le dessus. Traumaville est hors la loi biologique. Le vivant en est exclu.
Traumaville est en léthargie. Son observation, jusque dans ses moindres constituants, est nécessaire. Le diagnostic reste difficile. D’où vient le traumatisme ? De la posture artistique ? du rapport au paysage ? De la fonction de Traumaville ?
L’inspiration n’habite pas Ludovic Paquelier. Il s’en défend même. Pourtant, il est peintre. Mais cette pratique dépend fortement des conditions matérielles qui la génèrent. Il s’agirait donc d’un art pragmatique, à l’image de cet extrait de société que montre Traumaville.
Lorsque Ludovic Paquelier n’avait qu’un studio pour produire, il peignait son environnement, la série des salles de bains, ou adaptait sa pratique à l’exiguïté en peignant sur des pans de toiles pliées. L’artiste parle de simplicité logistique : un support brut, une couleur unique, une adaptabilité aux conditions de travail. Celles-ci dépendent d’un préalable essentiel : la plate-forme documentaire. Avant tout passage à la production, est effectué un entreposage méthodique de formes, d’images. Cette matière première est vouée à transformation puis, si nécessaire, à la mise en circulation.
Mais l’entreprise a grandi. Depuis que Ludovic Paquelier loue un atelier à Centrifuj, ancienne usine de cartonnage, le travail prend une autre dimension. Il quitte la planéité du mur pour se développer dans l’espace. Le pictural devient sculptural. La pratique s’adapte, pragmatiquement, à l’esprit d’un lieu. Dans cette friche industrielle, l’artiste récupère, démonte, classe des produits de la société industrielle. À mieux observer, cette tour-antenne est le collage de pièces usinées, mais hors d’usage. Ludovic Paquelier démantèle et recompose. Un circuit électronique, un rhéostat…tous ces composants dont on ne connaît pas la fonction exacte, mais dont on sait que, s’ils manquent, la machine nous échappe.
Collecte, stockage, transformation des rebuts, telle est la méthode de travail. Elle est calquée sur un modèle véhiculé par la société industrielle tout en incluant sa critique. Il s’agit donc bien d’un labeur quotidien, d’une transpiration régulière, d’une « contre-inspiration ». Mais surtout, cette méthode décrit un rapport au travail normalisé, dont le mécanisme est enrayé depuis les années 70. Ludovic Paquelier le sait, lui qui n’a jamais voulu envoyer un CV ou rédiger une lettre de motivation. Mais il travaille. Autrement.
Le paysage est une vue, mais aussi un mot, tous deux inventés par le peintre. Pour avoir lieu, il doit y avoir nom. Le lieu sans nom n’existe pas. Ludovic Paquelier nomme : Traumaville. Trop ma ville. Autoportrait par défaut. Elle est la ville que projette l’artiste. Il nous en livre un modèle, une maquette, comme nous en verrions dans nos prospections immobilières. Mais, au paysage idéalisé de l’architecte, Ludovic Paquelier substitue un paysage d’un neuf déjà vieilli, déjà altéré. Altération gagnée par la peinture grise mais aussi par notre conscience de la situation : Traumaville est l’image d’une prospérité perdue, qui montre une nouvelle forme d’utopie. Celle-ci n’est plus collective. Elle n’est plus le rêve d’une meilleure humanité. Elle est pragmatique et individuelle : comment acquérir une portion de territoire alors que la condition de cette acquisition (la prospérité) s’altère ?
Selon Thomas More, Utopia est un lieu idéal, donc un hors-lieu. Traumaville est l’empreinte d’où pouvait naître un idéal. Ce n’est donc pas un hors-lieu. « Nom de lieu : le nom ». Traumaville. « Nom de lieu : le lieu ». Trop ma ville. Il y a oscillation entre utopie et contre-utopie. Entre élévation et modélisation. Entre sculpture et maquette. Entre paysage et lieu. Est-ce cette indétermination qui est traumatisante ?
Trauma : lésion locale produite par un agent extérieur agissant mécaniquement
La fonction de Traumaville n’est pas précise. Pourrait-elle, en l’état, être isolée ? Dans un coin du laboratoire, s’étend une peinture. Traumaville arrête momentanément sa prolifération pour laisser une place à un mural, forcément provisoire. Par les liens plastiques qui se tissent entre les deux productions, elle devient sculpture. Par sa confrontation avec la peinture, elle devient paysage. Pourtant, pour l’artiste, elle se destine à une autre fonction. À partir du moment où Ludovic Paquelier a ausculté la grue laissée par un enfant ; à l’instant où il a commencé à disséquer une machine à laver, l’intention était claire. Produisant des images peintes à partir d’une collecte de documents, issus de la presse, ou personnels, Ludovic Paquelier décida la construction d’un espace réservoir de nouvelles images. La structure documentaire de la démarche s’en trouva modifiée. Les piles de vieux magazines, les classeurs de photocopies, les amoncellements de journaux gratuits indiquent le basculement du plan vers le volume. Il ne s’agit plus de montrer un cheminement de la référence mais plutôt d’en dégager une architecture.
Traumaville est donc une architecture documentaire génératrice d’images. Traumaville a ainsi trouvé sa fonction. Elle est décor. Elle est la miniaturisation d’une partie de notre monde qui appuie l’invention d’images d’un hors-monde, où la figure humaine se dissout, ou se complète dans des abstractions inachevées. Où la détermination du trait lutte avec l’aléatoire de la tache. Où la maîtrise se voit concurrencer par l’accident. Le mural est une image générée par Traumaville, comme il en existe toute une série, dénotant son potentiel créatif.
Actuellement, Ludovic Paquelier expérimente Traumaville en produisant des images manuelles. Il n’est pas écrit, au vu de son assiduité et de ses connaissances cinématographiques, qu’il ne remplace le pinceau par la caméra, agent extérieur agissant mécaniquement. Pascal Thevenet

 

Ludovic Paquelier est né en 1971. Il vit et travaille à Valence.
Etudes
1994 – 1995 DNAP, Ecole d’art de Valence
1997- 1998 DNSEP, Ecole d’art de Valence
Expositions personnelles
2006 Traumaville, art3
2005 Espace d’exposition, Viviers
2000 Petit Théâtre de Valence
Expositions collectives
2005 Inauguration de l’atelier Centrifuj, Valence
Festival ‘midi-minuit’, espace d’exposition, Viviers
2003 Changer son matin, CRAC, Valence
Atelier Rond Point, Valence
2002 Les nouvelles lunes, Alba la Romaine
2001 Intérieur, Centre culturel, Bonlieu, Annecy
Adage, salle des Clercs, Valence