entretien avec Albertine

Du 14 mars au 27 avril, art3 présente l’exposition Au cœur de la forêt réalisée par Albertine, auteure suisse. L’édition La Catastrophe sera  produite à cette occasion.

Sylvie Vojik : Je souhaitais par cet entretien que tu nous présentes ton travail d’auteure et ta manière de travailler avec Germano Zullo qui écrit les histoires, toi qui dessines. Comment s’organise cette collaboration ?

Albertine : Quand une bonne idée apparaît – celle-ci peut venir aussi bien de moi que de Germano –, nous en discutons beaucoup ensemble. Nous tiendrons à la fois compte des réflexions de chacun, mais également et c’est peut-être le plus important, de la manière avec laquelle l’idée veut s’épanouir. En effet, l’idée représente pour nous une individualité à part entière. Il s’agit donc d’un véritable dialogue à trois personnes. Il est essentiel de ne pas empiéter sur les inspirations de chacun et en cas de conflit, c’est toujours l’idée qui finira par trancher. De manière pratique, Germano commence par écrire le scénario et j’enchaîne avec les dessins. Il n’y a cependant pas de règles définies et il nous est arrivé, suivant les projets de travailler en simultané.

SV : Justement quel élément déclenche l’envie de développer une idée plutôt qu’une autre ? Nous avions parlé à plusieurs reprises de la place qu’occupe la nature dans ton travail, ce passage à des espaces urbanisés à ceux organisés à partir de la représentation symbolique des arbres, du désert, ou plus abstraits comme dans Procession qui n’indique aucun signe visible de l’endroit où les personnages évoluent.

A : Le développement survient le plus souvent quand l’idée finit pas s’imposer d’elle-même. Elle devient comme évidente. Cela dit, il est clair que cette idée ne surgit pas de nulle part. Elle est fonction de ce que je vis, de ce que je lis, entends ou observe. Certains éléments deviennent ainsi plus prégnants que d’autres. Ainsi, la manière dont les villes et les campagnes peuvent se développer et interagir entre elles m’intéresse tout particulièrement. La nature représente volontiers une toute-puissance, sauvage et mystérieuse, mais se montrant toutefois d’une extrême tolérance avec le génie humain. Ce dernier oublie cependant qu’il n’est que de passage et c’est la fragilité de ce passage que nous essayons de souligner dans certains livres ou travaux. Dans Procession, c’est le texte surtout qui vient éclaircir ce rapport entre la toute puissance de la nature et la fragilité du passage, illustrée ici par cet improbable cortège.

SV  : Le projet a pour titre Au cœur de la forêt. Comment réfléchis-tu le passage de la « feuilles blanche » à l’espace physique d’art3 ? Quelle idée souhaites-tu développer ?

A : Je développais déjà une réflexion sur le thème de la catastrophe avant d’être invitée à art3, c’est donc tout naturellement que j’ai poursuivi ici ma démarche. Avec la publication intitulée justement La Catastrophe, je montre les gens fuyant des agglomérations sous la pression d’un danger apparemment imminent. Cette séparation brutale me permet de mettre en évidence à la fois le côté impersonnel de certaines zones périphériques de nos villes, ainsi que la détresse et la solitude que ces mêmes zones peuvent générer. Dans Au cœur de la forêt je transpose en quelque sorte sur les murs de la galerie une société post-apocalyptique, en représentant des personnages éparpillés, seuls ou par petits groupes, souvent masqués, perdus dans un univers mystérieux et en quête de nouvelles identités.